Selon « El País », le
nouveau ministre de l'éducation espagnole José Ignacio Wert serait « un
des plus grands pyromanes du royaume ». Après un an sous le contrôle du
technocrate, l'éducation publique semble effectivement partir en fumée.
José Ignacio Wert n'a pas peur de se brûler les doigts en
touchant des sujets chauds. Un des premiers projets du ministre a été
d'éliminer la fameuse « éducation à la citoyenneté », matière
controversée introduite par le gouvernement Zapatero. En citant un
manuel scolaire, il cherchait à démontrer que ce cours était de
l'endoctrinement idéologique - peu importe qu'en réalité il s'agissait
d'un essai critique sur la matière enseignée qui n'a jamais vu
l'intérieur d'une salle de classe. N'empêche que ce cours s'appelle
désormais « éducation civique constitutionnelle », où l'on ne trouvera
donc plus les sujets dits « controversés » comme l'homosexualité, les
inégalités sociales ou le racisme. Tout ceci, paraît-il, juste pour
satisfaire le lobby catholique : c'était la conférence épiscopale qui
dirigeait l'opposition contre l'« éducation à la citoyenneté ».
Prochaine
incendie provoqué par le ministre : la destitution du catalan comme
langue véhiculaire dans l'enseignement en Catalogne. Jusque-là les cours
se tenaient en langue catalane, dorénavant celle-ci passera au
quatrième rang, après l'anglais et une deuxième langue étrangère. Pour
mettre encore de l'huile sur le feu, Wert (qui d'ailleurs maîtrise le
catalan) a déclaré ouvertement que son but était d'« espagnoliser les
élèves catalans ». Vu que l'emploi du catalan était interdit sous la
dictature franquiste, de telles déclarations font ressurgir de mauvais
souvenirs : « Si on a résisté à Franco, on résistera aussi à Wert », a
déclaré Irene Blegauer, présidente de l'association d'enseignants Rosa
Sensat, pendant que « El País » a rappelé que « Déjà Franco a
espagnolisé - et échoué ».
Puisque de toute façon le ministre ne
compte pas reprendre « une virgule » de ce qu'il a dit, les
représentants du gouvernement catalan ont jugé inutile de se déplacer à
Madrid pour une conférence convoquée par Wert en début du mois. Ils
n'étaient d'ailleurs pas les premiers : en mai, les directeurs des
universités avaient décidé unanimement de boycotter, pour la première
fois dans l'histoire, la réunion du conseil des universités.
Le marché dicte la réforme
Quelques
jours auparavant, le gouvernement avait fait passer des coupes
budgétaires de 3,8 milliards d'euros pour l' éducation, ce qui a été
interprété globalement comme le pire assaut de tous les temps à
l'éducation publique. Outre le boycott des directeurs des universités,
ceci avait provoqué la première grève générale dans l'éducation : le 22
mai, des centaines de milliers d'étudiants, parents et enseignants, de
la maternelle jusqu'à l'université prenaient la rue ; une prochaine
grève est prévue pour février. On peut déceler un profond sentiment
d'injustice chez tous les concernés, qui trouvent que « l'éducation
n'est pas responsable de la crise », comme on pouvait lire sur les
panneaux lors de la grève générale du 14 novembre.
Mais à qui la
faute ? Au gouvernement actuel ou aux gouvernements antérieurs ? A
l'Euro(pe), aux banques ? Wert justifie ses mesures par les contraintes
imposées par Bruxelles concernant le déficit public. Rappelons qu'en
juin, l'Espagne avait reçu un crédit de 100 milliards d'euros - destiné
uniquement à sauver ses banques, bien entendu. Or, il paraît que pour
les sauver, on a choisi de sacrifier l'éducation.
Bien sûr, il ne
suffit pas seulement de réduire le budget de l'éducation, encore faut-il
la réformer. Voilà pourquoi le ministre vient de présenter son
avant-projet de loi dit d'« amélioration de la qualité éducative ». Dès
le premier paragraphe, on y apprend que l'éducation est « le moteur qui
promeut la compétitivité de l'économie et la cote de prospérité d'un
pays », et que par conséquence l'améliorer signifie « un appui pour le
croissance économique » et « obtenir des avantages compétitifs sur le
marché mondial ». De surcroît, il faut mesurer la qualité de l'éducation
« en fonction de l'output (résultats des étudiants) et non pas en
fonction de l'input (niveaux d'investissement, nombre de professeurs,
nombre d'écoles, etc.) ». Le projet de réforme, rejeté par tous les
partis sauf le Parti Populaire du chef du gouvernement Mariano Rajoy,
compte structurer l'éducation en fonction des exigences du marché. Et en
marché, Wert s'y connaît : après un court passage en politique au début
des années 1980, il est passé dans le privé où il s'est spécialisé dans
les sondages d'opinions, analyses d'audiences et analyses de marché.
Au
moins, dans son poste actuel, il n'a plus à s'inquiéter des sondages.
Puisqu'il n'appartient à aucun parti et n'a pas été élu, il n'a des
comptes à rendre à personne - sauf peut-être au roi. Il paraît que lors
de la fête nationale du 12 octobre, Juan Carlos, qui jusque-là n'est
presque jamais intervenu en politique, aurait confié au président
d'avoir dit « à ce pauvre Wert que ce qu'il a dit sur les Catalans était
très mauvais ». Reste à espérer que l'intervention royale calmera
quelque peu l'ardeur de ce pyromane, qui en plus a acquis la réputation
de tête de mule. En effet, le concept de discussion constructive ne
semble pas entrer dans sa définition de la politique. Les politiciens ne
se donnent plus la peine d'aller aux réunions, et pendant les grèves
les étudiants chantent : « Ils appellent ça démocratie, je ne le vois
pas ».